Contre le djihadisme, les Oulémas du Sahel proposent leur manuel
Le Point - Pour faire face au discours de haine
des terroristes, la Ligue des oulémas, prêcheurs et imams des pays du Sahel,
choisit de d’abord mener la bataille des concepts.
La Ligue des oulémas, prêcheurs et imams des pays du Sahel, ou LOPIS, créée à Alger en janvier 2013, a publié, il y a quelques semaines, son « Guide scientifique et pratique de prévention de l’extrémisme et du radicalisme ». Il s’agit d’une somme de travail qui a duré près de deux ans. Il a été élaboré par des imams, des experts et des personnalités religieuses de plusieurs pays de la région sahélienne, en collaboration étroite avec l’Unité de fusion et de liaison (UFL), basée à Alger, qui réunit les services de renseignements de l’Algérie, de la Mauritanie, du Niger, du Burkina Faso, de la Libye, du Mali, du Tchad et du Nigeria. « C’est une première étape d’un plan de travail pratique. Ce guide sera développé par un travail de terrain. L’Algérie en a l’expérience. Elle était un théâtre de violence et de terrorisme et a réussi à le combattre. Plusieurs pays sollicitent aujourd’hui son aide en la matière », avait déclaré le ministre algérien des Affaires religieuses et des Wakfs, Youcef Belmehdi, lors de la présentation publique de ce guide à Alger en octobre dernier. Celui-ci avait également précisé que le document sera traduit en plusieurs langues et diffusé sur les sites électroniques et en audiovisuel, et ce, lors des émissions télévisées et même sur des chaînes YouTube.
« Une guerre de mots, de
concepts »
Ce guide se veut un manuel aussi bien pour les imams que pour les
enseignants des sciences islamiques dans les pays de la région. L’idée est,
d’ailleurs, de l’introduire dans les programmes éducatifs officiels des pays de
la région, mais aussi dans les écoles coraniques et les zaouïas (confréries
religieuses), selon les vœux de Lakhmissi Bezzaz, secrétaire général de la
Ligue.
Le guide en soi, un livret d’une centaine de pages, se décompose en trois
principales parties : la première expose les concepts et la
terminologie, la seconde se rapporte à l’éthique et la morale dans
l’islam, et la dernière s’attelle à la correction des concepts et à
la réponse aux fausses polémiques. « La guerre contre les extrémistes
et les terroristes qui bafouent notre foi est d’abord une guerre de mots, de
concepts », explique un des cadres qui ont participé à l’élaboration de ce
manuel. « Si je libère les concepts de l’emprise des extrémistes et que
j’explique ce que veulent vraiment dire la religiosité, la citoyenneté, les fatwas, etc.,
les adeptes de la violence au nom de notre religion se retrouveront privés de
leurs éléments de langage », dit-il. Pour cet imam algérois,
« les extrémistes ont détourné le sens des mots, des principes de la
religion, pour tromper leur auditoire, notamment sur Internet. Il nous faut
revenir aux véritables sens des mots afin d’assécher ce terreau de la déviation
et du crime. »
Déminer le champ lexical
L’ambition de ce guide n’est pas d’affronter directement le discours
djihadiste des mouvances les plus radicales, mais plutôt de recadrer le langage
et les concepts autour de la religion et autour de la relation de la religion
avec son environnement social, politique et intellectuel. Parmi les concepts
étudiés dans ce manuel, nous trouvons des notions aussi diverses que le djihad,
la différence, la nation, l’extrémisme ou bien l’apostasie. La méthode est de
donner d’abord le sens dans la langue arabe, avec ses nuances, avant de
décortiquer le concept selon la tradition islamique (textes sacrés du Coran ou
de la parole du prophète Mohamed) et enfin d’exposer sa contextualisation dans
la société.
Le premier chapitre sur la terminologie est donc une sorte de socle
épistémologique pour lancer les bases d’une approche non toxique des concepts
liés à la religion islamique et « recréer un discours sain émanant des
fondements de la religion et non des dérives de l’extrémisme » pour
reprendre l’expression de l’un des experts. Ce champ reste extrêmement
miné : les nuances entre extrémisme et religiosité, entre tolérance de la
différence et lutte contre les « déviances », par exemple, exigent
des efforts intellectuels pertinents. « Ce manuel peut aider à mieux
concevoir les nuances et contrecarrer le discours de haine qui amalgame tout
afin de fausser la vision et instaurer un climat de guerre des idées qui n’a
pas lieu d’être », commente un imam.
La seconde partie du guide s’arrête sur l’éthique et la morale en islam.
« Insister sur les valeurs de tolérance de la religion fait porter une
responsabilité au musulman : sa foi lui dicte, formellement, de cohabiter
pacifiquement avec l’Autre, d’être solidaire avec l’Autre », explique un
religieux. L’une des valeurs phares qui clôt ce deuxième chapitre est ce qu’on
appelle en arabe al-wassattiya, qu’on peut traduire par la « médiane » ou
« le juste milieu » : doctrine centrale de l’islam prônant la
modération et la prévalence d’une pensée et d’un jugement « éloignés de
l’extrémisme et de l’exagération », comme l’écrivent les auteurs du
manuel.
Pour faire face au discours de haine des terroristes, la Ligue des oulémas,
prêcheurs et imams des pays du Sahel, choisit de d’abord mener la bataille des
concepts.
« C’est une première étape d’un plan de travail pratique. Ce guide sera
développé par un travail de terrain. L’Algérie en a l’expérience. Elle était un
théâtre de violence et de terrorisme et a réussi à le combattre. Plusieurs pays
sollicitent aujourd’hui son aide en la matière », a déclaré le ministre
algérien des Affaires religieuses et des Wakfs, Youcef Belmehdi, lors de la
présentation publique de ce guide à Alger en octobre dernier. © DR
Par notre correspondant à Alger, Adlène Meddi
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